Rien ne s'oppose à la nuit, Delphine de Vigan
Deux ans après la mort de sa mère, Delphine a toujours du mal à comprendre. A faire son deuil. Il faut dire que rendre visite à sa mère pour la trouver dans son lit quelques jours après son suicide, ça a de quoi vous tournebouler et vous hanter.
A partir de ce drame familial, l’auteure décide de plonger au cœur de son histoire familiale pour tenter de comprendre comment sa mère s’est construite, ou tout au moins de s’approcher d’une vérité qui pourrait l’aider à trouver l’apaisement. Sans jamais prétendre toucher LA vérité. Et cette plongée dans les archives familiales va mettre en lumière beaucoup de zones d’ombre. Alternant des arrêts sur image de la vie de sa mère et la réalisation, presque pas à pas, de son projet de rédaction, Delphine de Vigan rapporte ses doutes, ses difficultés et ses craintes, et dresse le portrait d’une famille dans la tourmente et les non-dits.
Lorsqu’une de mes collègues m’a proposé de me prêter cet ouvrage, j’ai accepté tout de go. Impossible, depuis sa parution, d’être passée à côté de sa couverture, en bonne place dans les vitrines des libraires. Je n’avais encore jamais lu Delphine de Vigan et j’ai appris, en commençant ma lecture par la liste des précédents ouvrages de l’auteure, qu’elle avait écrit No et moi (j’ai encore en tête la sortie du film de Zabou Breitman), livre dont une autre collègue m’a parlé il y a quelques jours pour l’avoir donné à lire à des élèves de troisième (et que j’ai bien envie, du coup, d’ajouter à mon carnet-liste de PAL).
Tout au long de ma lecture, j’ai ressenti une certaine transparence dans les mots de l’auteure, une certaine humilité : confusion, incertitudes, peur de blesser, de trahir, de faire le mauvais choix. On sent, dès les premières pages, que cette entreprise fut loin d’être aisée. Mais qu’elle était inévitable. A aucun moment, je n’ai senti de jugement sur sa mère et son incapacité à bien s’occuper de ses filles, à communiquer, à s’épanouir. Même dans les passages témoignant de grands désordres intérieurs et extérieurs. Entre transparence (ou objectivité) et pudeur, les histoires de la famille Poirier se déroulent, se répondent. Les choses se mettent en place petit à petit, et l’on est surpris, ébranlé, choqué même parfois. Pas indifférent en tout cas. Ce roman m’a bouleversée et je l’ai terminé très émue, ce qui, de mémoire, ne m’était pas encore arrivé.
(Quand j’ai rendu le livre à ma collègue et qu’elle m’a demandé mon avis, je n’imaginais pas déclencher une si vive réaction chez un autre collègue, qui était là et avait son mot à dire (malgré qu’il n’ait pas lu le livre ... ) Ce « déballage », comme il l’appelle, cette « facilité d’écrire sur quelque chose que l’on n’invente pas », c’est un scandale. J’en ai pris pour mon grade (de lectrice touchée par cette lecture « facile » selon lui, shame on me !) pendant 5 minutes et, pour clore la discussion un peu lâchement devant ses foudres, je lui ai rétorqué que je n’étais peut être pas une lectrice très exigeante. J’imagine aisément ce qu’il peut penser de ce déferlement de confessions sur le Net depuis l’ouverture des blogs… confessions que j’aime beaucoup, beaucoup parcourir !
Je m’interroge aujourd'hui encore : a-t-on besoin d’inventer pour toucher un lectorat ? Les best-sellers sont-ils forcément des livres faciles, pour public neuroné a minima ? Ne peut-on se considérer comme amoureux des mots qu’à condition de n’aimer que les « grands auteurs » ? )
Extrait (p 86)
Derrière la mythologie, il y a la mort et l’arrivée d’un autre : une pièce de puzzle qu’on essaie de faire rentrer de force, me dira Violette lors de nos entretiens. Dans des notes que Lucile a écrites sur son enfance, récupérées chez elle au fond d’un carton, à propos de l’arrivée de Jean-Marc, j’ai trouvé cette phrase : Ainsi je découvrais confusément, malgré les explications et les dénégations, que nous étions interchangeables. Je n’ai jamais pu me convaincre par la suite du contraire, ni dans les rapports amoureux, ni dans les rapports amicaux.
Une interview de Delphine de Vigan ici